Eliminar la paraula "raça" de la legislació francesa.
Magali Bessone |
Quel est le rapport entre l’emploi du mot « race » et la lutte contre les discriminations ?
Magali Bessone (MB) : En France le mot « race » est tabou. Ne pas en parler mais passer par des substituts comme les « groupes ethniques » ou « culturels », les « nationalités », les « identités nationales », la « diversité », empêche un traitement dans nos manières de prévenir des réflexes racistes. Simplement, ces concepts sont plus acceptables à l’oreille, mais on parle de la même chose en les employant. Ils nous empêchent de faire face au problème raciste en France ; et la France est un pays raciste. Tant qu’on se contente de parler de promotion de la diversité multiculturelle, on ne met pas en place tout l’éventail possible de stratégies pour lutter efficacement contre le racisme.
En ce qui concerne la suppression du terme dans la législation, la première proposition de loi visait à supprimer totalement le mot « race » dans toutes ses occurrences, ce qui est vraiment dangereux. Dans les différents codes où il est utilisé, le terme l’est à des fins de lutte contre les discriminations. Ne pas l’utiliser, c’était se priver d’outils indispensables dans cette lutte. Une autre possibilité envisagée était de le remplacer par « origine » ou « groupe ethnique ». C’est aussi très dangereux : non seulement, cela supposerait que ces termes renvoient à la même chose, ce qui produit une confusion conceptuelle sérieuse, mais en outre cela supposerait que l’origine ou le groupe ethnique sont, eux, « scientifiquement fondés » alors que la race ne l’est pas. En réalité, il s’agit dans tous les cas de constructions sociales. Il faut bien construire « l’Afrique subsaharienne » comme une origine pertinente possible, par contraste avec le Moyen-Orient par exemple, ou encore l’Europe. On ne fait que reproduire les grandes races du XVIIIe siècle : les Rouges, les Jaunes, les Blancs, les Noirs, les Marrons. Encore une fois, il s’agit de choix politiques, économiques, administratifs.
L’Assemblée nationale a décidé de remplacer la plupart des occurrences de « race » dans les textes législatifs par « pour des motifs racistes ». En quoi cela représente-t-il un changement ?
MB: Le terme est supprimé de la législation au motif que le concept est « scientifiquement aberrant » – bien entendu, il est aberrant en sciences biologiques, mais pas en sciences sociales. Pour pouvoir tout de même continuer à lutter contre les discriminations raciales, les promoteurs de la proposition de loi ont finalement choisi de remplacer « race » et « racial » par « racisme » et « raciste ». On parle maintenant par exemple de « discrimination pour motif raciste ». Ainsi, la question demeure posée.
C’est un choix qui part de bonnes intentions. Le problème qui subsiste, à mon sens, est qu’il existe des discriminations raciales qui ne sont pas des discriminations pour des motifs racistes. Dans une société comme la nôtre, on peut discriminer de manière parfaitement rationnelle sans motif raciste. Le problème ne vient pas nécessairement de l’individu et de ses motivations conscientes, mais de l’ensemble de la société qui pousse à ce comportement, du système social lui-même dans lequel l’individu est pris. Ainsi, remplacer « discrimination raciale » par « discrimination d’intention raciste » ne permet pas de déconstruire les races et leurs effets pervers dans notre société. C’est une modification « conservatrice » mais pas véritablement « transformatrice » de nos structures sociales.
Quel est le réel enjeu de cette suppression ?
MB: L’idée est simple : il faut que nos textes législatifs nous permettent de lutter contre la discrimination raciale, ne serait-ce que parce que la France a signé de nombreuses conventions européennes et internationales de protection des droits de l’homme et de lutte contre la discrimination. La France est tenue par le droit communautaire donc il faut de toute façon qu’elle se donne les moyens de lutter contre la discrimination raciale. Symboliquement – et tout tient dans le symbolique –, les promoteurs de cette proposition de loi ont estimé qu’il était nécessaire de signifier haut et fort que la France ne reconnaît pas les races. Ce n’est pas anodin ni sans intérêt, la politique est aussi faite de symboles, sauf que cela ne remplace pas une véritable politique ni une pédagogie claire menant à une évolution dans les consciences. Le symbole n’est pas une révolution. Ce changement de terme ne va probablement rien changer au problème du racisme.
Le terme est pour l’instant maintenu dans l’article premier de la Constitution. Que va-t-il se passer si le terme est définitivement supprimé ?
MB: Tout dépend de l’option choisie. Modifier l’article premier de la Constitution (« sans distinction de race, d’origine ou de religion… ») n’aurait de sens que si les trois termes étaient supprimés. Alors, tout tiendrait à l’affirmation positive et vague du principe d’égalité républicaine. Encore une fois, cet article n’aurait alors plus qu’une force symbolique – et l’on peut soutenir que c’est bien là l’essentiel de sa fonction. Il me semble plus difficile de trouver une formulation satisfaisante faisant intervenir les termes de « racisme » ou « raciste ». Enfin, décider de supprimer le terme dans le préambule de la Constitution de 1946, qui n’est pas un texte vivant mais un document historique, reviendrait à réécrire l’histoire et à faire fi du symbole que constitue sa présence dans un texte constitutionnel au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.
Selon vous, que faut-il faire pour lutter contre les discriminations raciales ?
MB: C’est une vaste question. Concrètement, je proposerais de mettre en place des politiques de discrimination positive (ou d’action affirmative) quand les discriminations négatives sont avérées. Pour cela, il faut avoir des chiffres à propos de qui est discriminé et en raison de quoi. Si c’est possible en cas de discrimination religieuse, pourquoi pas à propos de la race ? Il ne s’agit jamais de dire que la race existe biologiquement, mais que dans les comportements et les pratiques discriminatoires, elle est un facteur pertinent pour celui qui discrimine et/ou pour celui qui est discriminé. Étant donné l’histoire du terme en France, il faudrait croiser des facteurs, sans doute physiques mais aussi, par exemple, la manière dont les noms sont potentiellement appréhendés comme déterminants des origines, des races différentes. Je ne pense pas qu’on ait besoin d’avoir une question sur la race dans le recensement : il me semble que le risque d’essentialisation est trop grand. En revanche, à chaque fois qu’on cible une politique publique précise (aide au logement, aide à l’emploi, accès aux soins dans les hôpitaux publics) il faut se poser la question de la discrimination pertinente. Dans chaque cas, on aurait des critères ad hoc, modifiés et modifiables, qui n’auraient jamais vocation à déterminer « la » race comme s’il s’agissait de quelque chose d’objectif. Grâce aux savoirs acquis par les réponses données, on pourrait mettre en place des politiques de discrimination positive qui seraient les plus à même de déconstruire la race. Si la race est une construction sociale, et si elle est à l’heure actuelle fonctionnelle dans nos sociétés, le but premier est la disparition des discriminations raciales, et celui plus lointain est la déconstruction totale du terme pour parvenir à une société sans races.
Marine le Breton, "Les races sont socialment construites" (Magali Bessone), philosophie magazine
http://www.philomag.com/lepoque/magali-bessone-les-races-sont-socialement-construites-12-7535#.UaTJde37MRI.twitter
Magali Bessone: Philosophe, maître de conférences en philosophie politique et morale à l’université de Rennes-1, elle est spécialiste des théories de la justice et de la démocratie et de la philosophie des races et du racisme. Elle a été consultée par la commission parlementaire chargée de l'élaboration du projet de loi visant à supprimer le mot « race » de la législation. Elle a signé récemment Sans distinction de race ? (Vrin, 2013).
Magali Bessone (MB) : En France le mot « race » est tabou. Ne pas en parler mais passer par des substituts comme les « groupes ethniques » ou « culturels », les « nationalités », les « identités nationales », la « diversité », empêche un traitement dans nos manières de prévenir des réflexes racistes. Simplement, ces concepts sont plus acceptables à l’oreille, mais on parle de la même chose en les employant. Ils nous empêchent de faire face au problème raciste en France ; et la France est un pays raciste. Tant qu’on se contente de parler de promotion de la diversité multiculturelle, on ne met pas en place tout l’éventail possible de stratégies pour lutter efficacement contre le racisme.
En ce qui concerne la suppression du terme dans la législation, la première proposition de loi visait à supprimer totalement le mot « race » dans toutes ses occurrences, ce qui est vraiment dangereux. Dans les différents codes où il est utilisé, le terme l’est à des fins de lutte contre les discriminations. Ne pas l’utiliser, c’était se priver d’outils indispensables dans cette lutte. Une autre possibilité envisagée était de le remplacer par « origine » ou « groupe ethnique ». C’est aussi très dangereux : non seulement, cela supposerait que ces termes renvoient à la même chose, ce qui produit une confusion conceptuelle sérieuse, mais en outre cela supposerait que l’origine ou le groupe ethnique sont, eux, « scientifiquement fondés » alors que la race ne l’est pas. En réalité, il s’agit dans tous les cas de constructions sociales. Il faut bien construire « l’Afrique subsaharienne » comme une origine pertinente possible, par contraste avec le Moyen-Orient par exemple, ou encore l’Europe. On ne fait que reproduire les grandes races du XVIIIe siècle : les Rouges, les Jaunes, les Blancs, les Noirs, les Marrons. Encore une fois, il s’agit de choix politiques, économiques, administratifs.
L’Assemblée nationale a décidé de remplacer la plupart des occurrences de « race » dans les textes législatifs par « pour des motifs racistes ». En quoi cela représente-t-il un changement ?
MB: Le terme est supprimé de la législation au motif que le concept est « scientifiquement aberrant » – bien entendu, il est aberrant en sciences biologiques, mais pas en sciences sociales. Pour pouvoir tout de même continuer à lutter contre les discriminations raciales, les promoteurs de la proposition de loi ont finalement choisi de remplacer « race » et « racial » par « racisme » et « raciste ». On parle maintenant par exemple de « discrimination pour motif raciste ». Ainsi, la question demeure posée.
C’est un choix qui part de bonnes intentions. Le problème qui subsiste, à mon sens, est qu’il existe des discriminations raciales qui ne sont pas des discriminations pour des motifs racistes. Dans une société comme la nôtre, on peut discriminer de manière parfaitement rationnelle sans motif raciste. Le problème ne vient pas nécessairement de l’individu et de ses motivations conscientes, mais de l’ensemble de la société qui pousse à ce comportement, du système social lui-même dans lequel l’individu est pris. Ainsi, remplacer « discrimination raciale » par « discrimination d’intention raciste » ne permet pas de déconstruire les races et leurs effets pervers dans notre société. C’est une modification « conservatrice » mais pas véritablement « transformatrice » de nos structures sociales.
Quel est le réel enjeu de cette suppression ?
MB: L’idée est simple : il faut que nos textes législatifs nous permettent de lutter contre la discrimination raciale, ne serait-ce que parce que la France a signé de nombreuses conventions européennes et internationales de protection des droits de l’homme et de lutte contre la discrimination. La France est tenue par le droit communautaire donc il faut de toute façon qu’elle se donne les moyens de lutter contre la discrimination raciale. Symboliquement – et tout tient dans le symbolique –, les promoteurs de cette proposition de loi ont estimé qu’il était nécessaire de signifier haut et fort que la France ne reconnaît pas les races. Ce n’est pas anodin ni sans intérêt, la politique est aussi faite de symboles, sauf que cela ne remplace pas une véritable politique ni une pédagogie claire menant à une évolution dans les consciences. Le symbole n’est pas une révolution. Ce changement de terme ne va probablement rien changer au problème du racisme.
Le terme est pour l’instant maintenu dans l’article premier de la Constitution. Que va-t-il se passer si le terme est définitivement supprimé ?
MB: Tout dépend de l’option choisie. Modifier l’article premier de la Constitution (« sans distinction de race, d’origine ou de religion… ») n’aurait de sens que si les trois termes étaient supprimés. Alors, tout tiendrait à l’affirmation positive et vague du principe d’égalité républicaine. Encore une fois, cet article n’aurait alors plus qu’une force symbolique – et l’on peut soutenir que c’est bien là l’essentiel de sa fonction. Il me semble plus difficile de trouver une formulation satisfaisante faisant intervenir les termes de « racisme » ou « raciste ». Enfin, décider de supprimer le terme dans le préambule de la Constitution de 1946, qui n’est pas un texte vivant mais un document historique, reviendrait à réécrire l’histoire et à faire fi du symbole que constitue sa présence dans un texte constitutionnel au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.
Selon vous, que faut-il faire pour lutter contre les discriminations raciales ?
MB: C’est une vaste question. Concrètement, je proposerais de mettre en place des politiques de discrimination positive (ou d’action affirmative) quand les discriminations négatives sont avérées. Pour cela, il faut avoir des chiffres à propos de qui est discriminé et en raison de quoi. Si c’est possible en cas de discrimination religieuse, pourquoi pas à propos de la race ? Il ne s’agit jamais de dire que la race existe biologiquement, mais que dans les comportements et les pratiques discriminatoires, elle est un facteur pertinent pour celui qui discrimine et/ou pour celui qui est discriminé. Étant donné l’histoire du terme en France, il faudrait croiser des facteurs, sans doute physiques mais aussi, par exemple, la manière dont les noms sont potentiellement appréhendés comme déterminants des origines, des races différentes. Je ne pense pas qu’on ait besoin d’avoir une question sur la race dans le recensement : il me semble que le risque d’essentialisation est trop grand. En revanche, à chaque fois qu’on cible une politique publique précise (aide au logement, aide à l’emploi, accès aux soins dans les hôpitaux publics) il faut se poser la question de la discrimination pertinente. Dans chaque cas, on aurait des critères ad hoc, modifiés et modifiables, qui n’auraient jamais vocation à déterminer « la » race comme s’il s’agissait de quelque chose d’objectif. Grâce aux savoirs acquis par les réponses données, on pourrait mettre en place des politiques de discrimination positive qui seraient les plus à même de déconstruire la race. Si la race est une construction sociale, et si elle est à l’heure actuelle fonctionnelle dans nos sociétés, le but premier est la disparition des discriminations raciales, et celui plus lointain est la déconstruction totale du terme pour parvenir à une société sans races.
Marine le Breton, "Les races sont socialment construites" (Magali Bessone), philosophie magazine
http://www.philomag.com/lepoque/magali-bessone-les-races-sont-socialement-construites-12-7535#.UaTJde37MRI.twitter
Magali Bessone: Philosophe, maître de conférences en philosophie politique et morale à l’université de Rennes-1, elle est spécialiste des théories de la justice et de la démocratie et de la philosophie des races et du racisme. Elle a été consultée par la commission parlementaire chargée de l'élaboration du projet de loi visant à supprimer le mot « race » de la législation. Elle a signé récemment Sans distinction de race ? (Vrin, 2013).
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